Impact des protocoles de triage dans les services d’urgence 30 ans après leur adoption
Contexte : Les protocoles de triage ont été introduits dans les services d’urgence afin d’améliorer la priorisation clinique et de réduire les délais d’attente.
Objectif : Analyser l’impact des protocoles de triage sur les délais d’attente et la durée de séjour aux urgences, trente ans après leur adoption.
Méthodes : Revue narrative de données statistiques internationales publiées entre 2023 et 2025.
Résultats : Les délais avant évaluation médicale sont globalement réduits pour les patients graves, mais la durée totale de séjour reste élevée dans de nombreux pays.
Conclusion : Le triage améliore la sécurité et la priorisation, mais son effet sur la congestion globale demeure limité sans réformes structurelles.
Lisez notre article texte et diaporama PDF : "Le triage pourquoi et comment ?"
1. Introduction
Depuis les années 1990, les services d’urgence ont connu une augmentation soutenue de leur fréquentation, associée à une diversification des profils cliniques et à une complexification des parcours de soins. L’introduction de protocoles de triage structurés, tels que le Manchester Triage System, l’Emergency Severity Index, la Canadian Triage and Acuity Scale ou la Classification Infirmière des Malades aux Urgences en France, visait à répondre à ces enjeux.
Ces systèmes reposent sur une évaluation standardisée de la gravité clinique et du risque évolutif afin de prioriser l’accès à l’évaluation médicale. Trente ans après leur généralisation, leur impact sur les délais d’attente et la durée de séjour aux urgences demeure un sujet de débat, dans un contexte de tension croissante des ressources hospitalières.
2 Méthodes
Une revue narrative de la littérature et des données statistiques publiques a été réalisée. Les sources incluent des rapports institutionnels nationaux (France, Australie, Canada, Royaume-Uni, pays nordiques) ainsi que des synthèses publiées dans des revues internationales de médecine d’urgence.
Les indicateurs analysés étaient :
- le délai avant la première évaluation médicale après le triage,
- la durée totale de séjour au service d’urgence,
- les standards nationaux de délais post-triage.
Les données retenues ont été publiées entre 2023 et 2025 et concernaient principalement les pays à revenu élevé disposant de systèmes de triage formalisés.
3. Résultats
3-1 Délai avant évaluation médicale
Les systèmes de triage structurés permettent une prise en charge rapide des patients les plus graves. Dans la majorité des pays étudiés, les patients classés dans les niveaux de triage les plus élevés sont évalués dans des délais inférieurs à 20 minutes.
| Pays | Délai médian avant évaluation | Système de triage |
| Australie | 18–40 minutes | ATS |
| Suède | ≈ 38 minutes | Systèmes nationaux |
| Allemagne | 20–30 minutes | MTS / systèmes locaux |
| Royaume-Uni | 90–120 minutes | MTS |
| France | 120–150 minutes | CIMU |
3-2 Réduction des temps d’attente à l’échelle des services
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Pays |
Délai moyen jusqu’à l’évaluation (est.) |
Durée médiane totale de séjour (est.) |
Source / Notes |
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Australie |
18 min – 5 h (forte variation selon hôpital) |
≈ 2 h 00 min–4 h 00 min (variabilité selon site) |
Système ED très variable; prolongations fréquentes en 2024–25. (Doctorsa) |
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Suède |
~38 min |
~4 h 13 min (total de séjour) |
Temps d’attente et durée de séjour dans ED ont légèrement diminué. (Sweden Herald) |
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Allemagne |
~22 min |
— |
L’Allemagne affiche des temps d’attente courts comparativement. (REVA Air Ambulance Services) |
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Royaume-Uni |
~1 h 52 min |
— (fortes variations) |
NHS A&E a des standards très élevés et de longues heures longues. (Doctorsa) |
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France |
~2 h 21 min |
> 3 h pour la moitié des patients |
Enquête nationale, médiane en hausse sur 10 ans. (vie-publique.fr) |
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Canada |
~2 h 12 min |
~2 h 08 min (médiane historique) |
CIHI/études provinciales montrent longueurs de séjour souvent >4 h dans certaines provinces. (REVA Air Ambulance Services) |
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Italie |
~2 h 44 min |
— |
Un des plus longs délais moyens d’Europe. (Doctorsa) |
Plusieurs revues de littérature démontrent que l’introduction de protocoles de triage avancés est associée à des réductions significatives des temps d’attente jusqu’à l’évaluation médicale.
- Une revue systématique regroupant des essais randomisés et études contrôlées a montré que l’usage de protocoles de triage avancés conduisait à une réduction moyenne du temps de séjour d’environ 36 minutes — résultat statistiquement significatif, même si les preuves restent de certitude modérée. PubMed
- L’intégration de modèles de triage avec participation médicale (ex. « Team Triage » avec médecin dès l’accueil) est associée à une réduction des temps d’attente et du nombre de patients quittant sans être vus, et à une meilleure satisfaction globale. PubMed
- Une revue (incluant fast track, triage par équipe, etc.) avec plus de 800 000 patients suggère que certaines stratégies de gestion — dont le triage structuré — réduisent le délai d’attente, la durée de séjour et le taux de départ sans être vu. CNIB
Globalement, les systèmes structurés de triage améliorent l’accès à une première évaluation médicale plus rapide, surtout pour les patients de gravité intermédiaire, bien que l’effet varie selon l’organisation locale
3-3 Durée totale de séjour aux urgences
La durée totale de séjour au service d’urgence demeure élevée dans l’ensemble des pays étudiés. En France, la durée médiane de passage dépasse trois heures pour la moitié des patients, et excède cinq heures pour les patients nécessitant une hospitalisation.
Des durées similaires, voire supérieures, sont observées au Royaume-Uni et au Canada, notamment lors des périodes de forte tension saisonnière.
Évolution temporelle de la durée de séjour – exemple France (2013–2023)
La DREES (France) a récemment publié une enquête nationale sur les urgences :
- En 2023, la médiane de durée de passage a dépassé 3 h pour la moitié des patients, soit +45 min par rapport à 2013.
- 15 % des patients passent > 8 h aux urgences (vs 9 % en 2013).
- Pour les patients hospitalisés, la médiane de séjour en ED a augmenté de ~1 h 25 min (de 3 h 55 min en 2013 à 5 h 20 min en 2023). DREES
Indicateurs de performance – Australie (2024–25)
Selon les statistiques par triage en Australie :
- 50 % des patients sont vus dans ≤ 18 min.
- 90 % des patients sont vus en ≤ 1 h 58 min.
- La proportion de patients pris en charge dans les délais recommandés (selon niveaux de tri) est stable mais légèrement en baisse ces dernières années. AIHW
3-4 Variabilité saisonnière et contextuelle
- Au Royaume-Uni, malgré les standards comme ≤ 4 h pour 95 % des patients, de nombreux hôpitaux enregistrent des attentes ≥ 12 h en période de « pressures hivernales », avec des conséquences sur les résultats cliniques. Financial Times
- En Australie du Sud, les taux de patients « urgent » pris en charge dans les délais cibles ont chuté significativement ces dernières années à cause de demandes croissantes et de contraintes de capacité. Adelaide Now
3-5 Triage, satisfaction des patients et violences en milieu d’urgence
Au-delà de ses bénéfices cliniques, le triage aux urgences est également identifié comme une source importante d’insatisfaction des patients et de tensions relationnelles. De nombreux travaux montrent que l’incompréhension du processus de triage, associée à des délais d’attente prolongés, contribue à un sentiment d’injustice, en particulier chez les patients classés dans les niveaux de priorité les plus bas. (Figure 1)
Plusieurs études internationales rapportent une association significative entre temps d’attente perçu, désaccord avec la décision de triage et survenue de comportements agressifs, verbaux ou physiques, à l’encontre des professionnels de santé. Les services d’urgence figurent ainsi parmi les environnements hospitaliers les plus exposés aux violences, les infirmiers de triage étant particulièrement concernés en raison de leur rôle de premier contact et de gatekeeping.
Le triage peut être perçu par certains patients comme un refus implicite de soins immédiats, surtout lorsque l’évaluation clinique ne correspond pas à la gravité ressentie. Cette discordance entre gravité subjective et gravité médicale constitue un facteur central de mécontentement et de conflits.
Les stratégies identifiées pour limiter ces effets incluent l’amélioration de la communication au moment du triage, l’explication explicite des priorités de prise en charge, l’affichage des délais estimés, ainsi que la formation spécifique des professionnels à la gestion des situations de tension et de violence. Certaines études suggèrent également que les outils numériques d’aide au triage et d’information des patients pourraient contribuer à réduire les incompréhensions, sans toutefois supprimer le risque de violence. [Lisez sur notre publication "articles sur la violence"]
Ainsi, si le triage demeure un outil indispensable à la sécurité des soins, son acceptabilité sociale et son impact sur la relation soignant-soigné doivent être considérés comme des enjeux majeurs de qualité et de sécurité des soins dans les services d’urgence.
Discussion
Cette synthèse montre que les protocoles de triage ont un impact positif clair sur la priorisation des patients et la sécurité des soins, en particulier pour les urgences vitales. Les délais avant évaluation médicale pour les patients les plus graves sont globalement conformes aux standards internationaux.
En revanche, l’impact du triage sur la durée totale de séjour est limité. Les facteurs principaux d’engorgement identifiés dans la littérature sont la disponibilité des lits d’aval, la pénurie de ressources humaines et l’organisation des filières de soins. Le triage, bien qu’indispensable, ne peut à lui seul compenser ces contraintes systémiques.
📌Surcharge et manque de lits en aval augmentent significativement les temps d’attente et de séjour, malgré des protocoles standards.
📌 Les perspectives futures reposent sur une approche intégrée combinant triage, gestion dynamique des flux, développement des alternatives à l’hospitalisation et utilisation raisonnée d’outils numériques, notamment l’intelligence artificielle.
Conclusion
Trente ans après leur adoption, les protocoles de triage sont un élément central de la médecine d’urgence moderne. Ils ont permis d’améliorer la priorisation clinique et la sécurité des patients, mais leur impact sur les délais d’attente globaux et la durée de séjour reste fortement dépendant du contexte organisationnel et des ressources disponibles.
Références
- Health at a Glance – hospital activity & ED visits (OECD, 2025). OECD+1
- Emergency department waiting times in Sweden 2024–25. Sweden Herald
- Comparative ER wait times by country overview. Doctorsa
- AIHW emergency waiting time statistics (Australia). AIHW
- DREES – Enquête Urgences 2023 (France). DREES
- Department of Health (Northern Ireland) emergency care waiting time stats. Department of Health
- NHS A&E wait time framework and pressures (ONS/NHS). Office for National Statistics
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