Les musulmans jeûnent pendant le mois de Ramadan (ramadan fasting) durant 29 ou 30 jours. Ce mois varie d’une année à l’autre en fonction du calendrier lunaire. La durée d’abstention de manger et de boire s’étale de l’aube au coucher du soleil, elle est plus ou moins longue selon les saisons et selon les pays (en moyenne 12 à 17 heures/jour). Le début du Ramadan annonce un changement soudain des heures de repas et des habitudes de sommeil.
I. CONSÉQUENCES DU JEÛNE SUR LA SANTÉ :
Il faut distinguer le "jeûne religieux" (carême, ramadan) du jeûne dit "thérapeutique" préconisé par certains (l’américain Shelton, l'allemand Otto Buchinger et partisans) qui ne dure que quelques jours avec boissons autorisés. La grève de faim est une situation particulière de conséquences physiopathologiques complètement différentes.
Les complications du jeûne peuvent être une déshydratation, une hypoglycémie, une hyperglycémie, un amaigrissement (ou prise de poids selon les habitudes alimentaires), des troubles du sommeil, une inversion du rythme jour-nuit avec des conséquences possibles sur la vigilance et l’endurance.
Les facteurs climatiques et les habitudes alimentaires doivent être pris en considération dans la survenue de ces complications.
Les études contrôlées randomisées sur le jeûne durant ramadan sont rares. On connait peu l’influence du jeûne sur l’organisme, les complications et la décompensation des maladies chroniques. Nous trouvons peu d’études fiables à cause de 2 critères importants, souvent méconnus, qui sont la variable saison (chaude ou froide) et la durée du jeûne pendant la journée.
Des articles de presse non crédibles ont évoqué l’augmentation des motifs de consultation comme l’hypoglycémie, les troubles digestifs et la constipation, les coliques néphrétiques, les complications cardio-vasculaires et autres comme les rixes et les accidents de circulation.
Le jeûne dit "thérapeutique" n'a aucune comparaison avec Ramadan et non recommandé par les médecins bien qu'il fait l’objet d’une forte médiatisation. La majorité des données proviennent d’études chez l’animal ou incluant un nombre limité de cas. Il n'existe aucune preuve scientifique de l'intérêt de cette méthode pour le traitement de cancers, épilepsie ou autres maladies. (voir le rapport NACRe de 2017 "Jeûne, régimes restrictifs et cancer")
II. LES CONTRE-INDICATIONS DU JEÛNE SONT BIEN CONNUES :
Du point de vue religieux le jeûne est obligatoire pour tous les fidèles sauf pour les enfants non pubères et dans certaines circonstances particulières (maladie, voyage, âge avancé, incapacité psychique, pendant la période des menstruations chez la femme). L’abstention inclut toute prise orale même les médicaments.
Du point de vue médical, le jeûne est contre-indiqué dans les cas suivants :
• Selon le terrain : enfant non pubère, sujet âgé grabataire, grossesse, post partum,
• Selon les morbidités : déshydratation, cachexie, infections sévères, diabète décompensé, anémie sévère, insuffisance rénale, intervention chirurgicale, insuffisance cardiaque sévère et toute situation de risque estimée par le médecin.
III. DIABÈTE ET JEÛNE :
Chez le sujet sain, le jeûne provoque une variation modérée de la glycémie au cours de la journée. Par contre cette variation est manifeste chez les diabétiques, un risque d’hypoglycémie avant la rupture du jeûne et une hyperglycémie pendant la nuit [1][2].
Afin que le diabétique puisse jeûner sans complications, des conseils nutritionnels et une adaptation thérapeutique doivent être débutés avant le début du mois de Ramadan. Pour ceux qui nécessitent un traitement, il est conseillé d’adapter les protocoles thérapeutiques en privilégiant les schémas à une ou deux prises des médicaments (avant le début du jeûne et après la rupture du jeûne le soir) à la place des schémas à trois prises par jour.
Les études du diabète et Ramadan sont nombreuses dans la littérature.
1) On cite la plus grande qui est l’étude EPIDIAR [3] en 2004 :
Étude rétrospective, enquête transversale menée dans 13 pays. Un total de 12.914 patients atteints de diabète ont été recrutés en utilisant une méthode d'échantillonnage stratifié, et 12.243 ont été considérés pour l'analyse.
Résultats : les enquêteurs recrutaient 1070 (8,7%) patients atteints de diabète de type 1 et 11,173 (91,3%) patients atteints de diabète de type 2. Moins de 50% de l'ensemble de la population a changé leur dose de traitement (environ un quart des patients traités avec des médicaments antidiabétiques oraux et un tiers des patients utilisant l'insuline).
- Les épisodes hypoglycémiques graves étaient significativement plus fréquentes pendant le Ramadan par rapport aux autres mois (diabète de type 1 : 0,14 vs. 0,03 épisode/mois, P = 0,0174; diabète de type 2 : 0,03 vs 0,004 épisode/mois, P <0,0001). L'hypoglycémie sévère était plus fréquente chez les sujets qui ont changé leur dose d'insuline ou antidiabétiques oraux ou modifié leur niveau d'activité physique.
- Les épisodes d’hyperglycémie sévère nécessitant une hospitalisation sont 5 fois plus fréquents chez les patients DT2 pendant le Ramadan qu’en dehors (5 événements/100 patients/mois versus 1/100 patients/mois). Chez les patients DT1, l’incidence des épisodes d’hyperglycémie sévère avec ou sans cétoacidose passe de 5 à 17 événements/100 patients/mois, soit une multiplication par un facteur supérieur à 3.
2) Les recommandations canadiennes en 2019 :
Une déclaration de position canadienne sur le sujet du jeûne du Ramadan et diabète, approuvée par «Diabetes Canada» [4], fournit des conseils sur la pharmacothérapie et la surveillance de la glycémie aux fournisseurs de soins de santé, de sorte qu'ils puissent aider les musulmans canadiens atteints de diabète à observer le jeûne pendant le Ramadan en toute sécurité.
Les contre-indications du jeûne pour les diabétiques sont :
• Signes cliniques d’hypoglycémie durant la période du jeûne (Glycémie ≤0,80 g/l ou 3,9 mmol/l).
• Signes de décompensation : Glycémie >3 g/l (>16,7 mmol/l) qui impliquent le dépistage d’acétone dans les urines.
• Maladie intercurrente.
L’avis médical est obligatoire pour ces types de patients pour évaluer les risques d’hypoglycémie. Le médecin traitant adapte la dose des thérapeutiques en conseillant la prise unique si possible ou 2 prises espacées pendant la nuit, la bonne hydratation et la prudence lors de l’activité physique. Le traitement par insuline est dangereux et n’est possible qu’avec adaptation des doses et surveillance continue.
IV. CONSULTATIONS AUX URGENCES ET RAMADAN :
a) Une étude rétrospective de cohorte [5], dans un hôpital universitaire tertiaire de Beyrouth, durant la période du Ramadan et le mois qui suit et ce, pendant une période de trois ans (2009-2011). Pendant cette période, 3536 patients musulmans faisant le Ramadan ont consulté les urgences. Le nombre de consultations était moins important durant la période du Ramadan que le mois qui précède par contre la durée de séjour est plus longue et la fréquence du retour aux urgences dans les 72 heures est plus importante. Il n’y avait aucune différence significative pour la maladie coronarienne, le diabète, l’hypertension artérielle, les coliques néphrétiques, les céphalées, l’épilepsie ou l’accident vasculaire cérébral. Néanmoins la mortalité est plus fréquente (13 vs 9, p = 0,011) sans autre précision.
b) L’étude faite en Tunisie [6] sur 3 ans (2012-2014) concernant l’influence du mois de Ramadan sur la prévalence du syndrome coronarien aigue. 172 cas de SCA ont été diagnostiqués. La prévalence de SCA, était de 17% avant Ramadan, de 22% pendant Ramadan et de 28% après Ramadan (p=0.007). Les auteurs concluent que l’hypertension artérielle et le vieillissement étaient les facteurs les plus à risque dans cette population.
c) Une autre étude rétrospective, durant 2010 et 2017, dans les services d’urgence français était plus pertinente (7). Étaient inclus 343.880 passages aux urgences dans l’étude, dont 23.5% (n = 80.940) pendant la période Ramadan. Il existait une augmentation des passages de minuit à six heures, associée à une diminution des passages de midi à minuit. Trois groupes de pathologies étaient significativement plus fréquents en période du carême : les troubles hydro-électrolytiques (p = 0,023), les coliques néphrétiques (p = 0,003) et les malaises (p = 0,04).
La principale limite de l’étude est l’absence de collecte de données relatives à la religion des patients inclus (interdite par la loi française). Les résultats semblent plutôt influencés par les facteurs météorologiques notamment la canicule.
V. MALADIES CARDIOVASCULAIRES ET RAMADAN :
L’instance nationale tunisienne de l’évaluation et de l’accréditation en santé (INEAS) en collaboration avec la société tunisienne de cardiologie et de chirurgie cardiovasculaire (STCCCV) a publié ses recommandations en 2022 [7]. Les auteurs ont passé en revue plusieurs publications internationales concernant les maladies cardiovasculaires (HTA, cardiopathies ischémiques, troubles du rythme), et aussi les dyslipidémies, le diabète, l’insuffisance rénale et autres. Les études sur le risque du jeûne pour ces maladies chroniques sont controversées, cependant la plupart des auteurs relèvent l’augmentation du risque de déshydratation, d’hypertension artérielle et de thrombose. Ils préconisent des précautions.
Les principales recommandations [7] :
- Tous les patients atteints de coronaropathie et désireux de jeûner doivent être évalués individuellement par leur médecin cardiologue traitant, et le risque cardio-vasculaire doit être discuté.
- Le jeûne peut être autorisé chez la plupart des patients présentant un syndrome coronarien chronique stable.
- Le jeûne n’est pas recommandé chez les patients ayant eu une angioplastie coronaire récente (dans les trois mois), en raison du risque de thrombose du stent associé à la déshydratation.
- Le jeûne est déconseillé chez les patients présentant un syndrome coronarien aigu récent (dans les trois mois).
- Le jeûne peut être autorisé sans danger après 3 mois chez ces patients s’ils sont stables sous traitement médical approprié.
-Le jeûne est déconseillé chez les patients atteints d'insuffisance rénale chronique associée à une maladie coronarienne en raison du risque accru de lésions rénales et de thrombose.
Les auteurs de l’INEAS préconisent des mesures hygiéno-diététiques et détaillent la gestion des médicaments pendant le mois de Ramadan chez le patient atteint de pathologies cardiovasculaires et autres maladies chroniques.
BIBLIOGRAPHIE :
- MOHAMED HASSANEIN et al. : Diabetes and Ramadan, Practical guidelines. Diabetes Research and Clinical Practice, April 2017, volume 126, Pages 303–316
- L. MONNIER et al. : Ramadan et diabète : est-ce un problème ? Considérations pratiques et apport de la mesure continue de la glycémie. Médecine des maladies Métaboliques - Octobre 2015 - Vol. 9 - N°6
- SALTI et Col. : A population-based study of diabetes and its characteristics during the fasting month of Ramadan in 13 countries: results of the epidemiology of diabetes and Ramadan 1422/2001 (EPIDIAR) study. Diabetes Care. 2004 Oct; 27(10):2306-11.
- HARPREET SINGH BAJAJ et al. : Diabetes Canada Position Statement for People With Types 1 and 2 Diabetes Who Fast During Ramadan. Canadian journal of diabetes, February 2019, Volume 43, Issue 1, Pages 3–12
- AL ASSAAD et al. : Impact of Ramadan on emergency department visits and on medical emergencies. European Journal of Emergency Medicine, July 2017, 25(6):1
- ASMA SRIHA BELGUITH et al. : Le risque du syndrome coronarien aigu au mois de Ramadan. La Tunisie Médicale - 2016 ;Vol 94 ( n°010 ) : 599-603
- MAËLISS BOURILLON : Impact du jeûne sur le flux des patients aux urgences ainsi que sur les pathologies diagnostiqués. Thèse faculté de médecine de Marseille, 2018
- INEAS - STCCCV Instance nationale de l’évaluation et de l’accréditation en Santé et Société tunisienne de cardiologie et de Chirurgie cardiovasculaire : Gestion du patient atteint de pathologies cardiovasculaires pendant le ramadan. Site INEAS
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