1. PHYSIOPATHOLOGIE :
La colique néphrétique résulte de l’augmentation de la pression intraluminale secondaire à l’obstruction urétérale. Cette obstruction entraîne une diminution du débit de filtration glomérulaire, une sécrétion accrue de prostaglandines et une contraction réflexe de l’uretère, sources de douleur intense. Une obstruction prolongée peut conduire à une altération rénale réversible ou irréversible selon la durée d’évolution [1,2,3].
2. SIGNES CLINIQUES :
La douleur lombaire aiguë, unilatérale, irradiant vers l’aine ou les organes génitaux, est la manifestation la plus caractéristique. Les nausées et vomissements sont fréquents. L’hématurie macroscopique ou microscopique est retrouvée dans une majorité de cas. Le plus souvent sans fièvre mais lorsqu’elle existe on doit suspecter une pyélonéphrite obstructive, situation engageant le pronostic vital à court terme [4,5].
3. DIAGNOSTIC :
Le diagnostic repose sur un faisceau d’arguments cliniques, biologiques et radiologiques.
- Rechercher les signes d’alerte : fièvre, frissons, hypotension, altération d’état général, insuffisance rénale aiguë, anurie, douleur incontrôlable malgré l’analgésie.
- Terrains particuliers à risque : grossesse, insuffisance rénale chronique, rein unique, enfant.
Biologie
- Bandelette urinaire (BU) : l’hématurie est fréquente.
- NFS, créatinine et ionogramme pour évaluer la fonction rénale.
- Si l’infection est suspecte : ECBU systématique, marqueurs inflammatoires (CRP) et hémocultures.
Imagerie
- Le scanner abdomino-pelvien sans injection est l’examen de référence chez l’adulte non enceinte, en raison de sa forte sensibilité pour détecter et localiser les calculs, ainsi que pour exclure d’autres diagnostics [6,7,8]. En cas de doute diagnostique ou de fièvre, le scanner avec injection de produit de contraste est indiqué.
- L’échographie ne visualise pas le calcul mais peut détecter une dilatation des cavités rénales. Elle est privilégiée chez la femme enceinte et l’enfant, Un résultat normal n'exclut pas la présence d'un calcul.
- L'IRM, bien qu'elle ne visualise pas directement le calcul, est une alternative non irradiante utile pour les femmes enceintes ou les patients souffrant d'insuffisance rénale.
4. DIAGNOSTIC DIFFÉRENTIEL :
Les diagnostics alternatifs comprennent :
• pyélonéphrite aiguë (fièvre ou signes de sepsis) nécessitant le drainage en urgence,
• appendicite ou diverticulite,
• dissection de l’aorte (douleur lombaire intense),
• colique hépatique (à droite),
• torsion testiculaire ou ovarienne,
• grossesse extra-utérine GEU (toujours y penser !)
• lombalgie aiguë d’origine musculosquelettique.
L’examen clinique attentif et le scanner permettent d’écarter la plupart de ces affections [9].
5. PRISE EN CHARGE AUX URGENCES :
Les objectifs principaux sont le soulagement rapide de la douleur, l’identification des complications et l’orientation du patient.
Traitement antalgique :
- Les AINS constituent le traitement de première intention, supérieurs aux opioïdes en termes de soulagement initial et de réduction des effets secondaires [10,11]. Ils réduisent aussi la pression intra rénale via l’effet sur les prostaglandines. Les AINS (type Diclofénac, Ibuprofène ou Kétorolac) peuvent être administrés, en absence de contre indications (insuffisance rénale sévère, ulcère actif, allergies, grossesse 3e trimestre). Par voie IV ou IM, ils ont une efficacité comparable.
- Les opioïdes (Morphine, Tramadol) sont utilisés en deuxième intention, en cas de contre-indication ou d’échec des AINS [12]. Aux urgences, la morphine en IV avec titration est indiquée d’emblée en cas de crise hyperalgique [consensus SFMU].
- Le paracétamol IV (Propacétamol) peut apporter un soulagement presque comparable aux opioïdes, avec moins d’effets secondaires. Il peut être utilisé en combinaison ou en relais en respectant ses contre indications (insuffisance hépatique). Cependant, le Paracétamol ne réduit pas la pression dans les voies urinaires, n’accélère pas l’expulsion du calcul et ne diminue pas la nécessité de recours aux opioïdes.
- Kétamine (bolus IV à faible dose) : quelques essais et revues suggèrent qu’elle peut être une alternative utile aux opioïdes avec bonne efficacité et profil d’effets secondaires acceptable en milieu d’urgence, mais son usage reste encore moins standardisé.
- Les antispasmodiques tels que la butylscopolamine (Buscopan) n’ont pas démontré d’efficacité significative dans les essais randomisés [13]. Buscopan et Spasfon étaient couramment utilisés dans les années 80-90.
| Molécule | Dose usuelle en urgence | Délai approximatif pour soulagement |
| Kétorolac (IV/IM) | 30 mg IV ou 30 mg IM (≤60 mg/j selon pays) | 15–30 min (effet significatif à 30–60 min) |
| Diclofénac (IM/PO) | 75 mg IM (ou 50 mg IV/PO selon form.) | 15–30 min (IM rapide) |
| kétoprofène (IV/IM) | 100 mg IM ou IV lente de 100 à 300 mg/j selon pays | IM ou IV rapides |
| Ibuprofène (IV/PO) | IV 800 mg (selon formulation) ou PO 400–800 mg | 15–60 min (IV plus rapide) |
| Morphine (IV) | 0,05–0,1 mg/kg IV (dose unique, répétitions selon douleur) | 10–30 min (IV) |
| Tramadol (IV/IM/PO) | 50–100 mg IV/IM ou 50–100 mg PO | 20–40 min (IV plus rapide) |
| Paracétamol (IV) | 1 g IV (ou propacétamol 2 g IV selon pays) | 15–45 min (IV) |
| Combinaisons (AINS + opiacé) | Ex. kétorolac 30 mg IV + morphine faible dose | Souvent meilleur contrôle et moins de rescue |
Thérapie expulsive médicale :
Les alpha-bloquants (ex. Tamsulosine) peuvent faciliter l’expulsion des calculs distaux entre 5 et 10 mm, bien que leur efficacité reste variable selon les études [14]. Il faut tenir compte des effets indésirables des alpha bloquants.
Le drainage par sonde JJ ou néphrostomie est indiqué en cas :
- d’infection associée à l’obstruction,
- d’insuffisance rénale aiguë obstructive,
- de douleur incontrôlable malgré un traitement optimal,
- d’obstruction bilatérale
6. FACTEURS PRÉDISPOSANTS ET PRÉVENTION :
Facteurs qui augmentent le risque ?
- Excès de sel (sodium).
- Excès de protéines animales (viande, charcuterie, poisson)
- Sucres simples (sodas sucrés, fructose) → ↑ lithogenèse.
- Oxalate alimentaire élevé (épinards, rhubarbe, chocolat, noix) → favorise calculs d’oxalate.
- Apport calcique trop faible → paradoxalement augmente les calculs (plus d’oxalate libre absorbé).
📌Facteurs protecteurs alimentaires ?
- Calcium alimentaire normal (laitages) : protecteur.
- Fruits et légumes : augmentent le citrate (inhibiteur naturel).
- Moins de viande, plus de végétal : réduit le risque.
- Régime DASH (approches diététiques pour stopper l'hypertension) : a démontré une réduction importante de la lithiase (jusqu’à -40 %).
📌 Eau « calcaire », eau de robinet (riche en calcium) ?
Contrairement à l'idée reçue : l’eau calcaire n’augmente pas le risque de calculs. On peut boire de l’eau calcaire sans risque; seule la quantité compte. Les études montrent :
- Le calcium de l’eau n’augmente pas la calciurie de façon lithogène.
- Une eau riche en calcium peut même être protectrice, car elle réduit l’absorption intestinale d’oxalate.
- Le facteur majeur protecteur reste le volume total (diurèse ≥ 2 L/j).
📌 Saison chaude (déshydratation, climat) ?
✔ Oui, clairement un facteur de risque.
- La chaleur → transpiration → déshydratation → urines plus concentrées → risque accru.
- Le taux de coliques néphrétiques est significativement plus élevé l’été (« stone belt » aux États-Unis).
- Une augmentation de 10 °C s’accompagne d’une augmentation de 10 à 15 % des admissions pour colique néphrétique.
📌 Goutte (hyperuricémie, acide urique) ?
✔ Oui, facteur de risque bien établi. La goutte et l’hyperuricémie sont des facteurs majeurs de lithiase.
- Les patients goutteux ont un risque 3 fois plus élevé de lithiases, surtout uratiques.
- Un pH urinaire bas (< 5,5) favorise la précipitation d’acide urique.
- L’hyperuricémie favorise aussi les calculs calciques (effet promoteur cristallin).
RÉFÉRENCES :
- Türk C, Neisius A, Petřík A, et al. EAU Guidelines on Urolithiasis. European Association of Urology; 2024.
- Pearle MS, Goldfarb DS, Assimos DG, et al. Medical management of kidney stones: AUA guideline. J Urol. 2014.
- Robertson WG. Pathophysiology of stone formation. Clin Rev Bone Miner Metab. 2011.
- Teichman JM. Clinical practice: Acute renal colic. N Engl J Med. 2004;350:684–693.
- Scales CD, Smith AC, Hanley JM, Saigal CS. Prevalence of kidney stones in the United States. Eur Urol. 2012;62:160–165.
- Smith-Bindman R, Aubin C, Bailitz J, et al. Ultrasonography vs computed tomography for suspected nephrolithiasis. N Engl J Med. 2014;371:1100–1110.
- Moore CL, Bomann S, Daniels B, et al. Accuracy of reduced-dose CT for renal colic. Ann Emerg Med. 2015;65:189–198.
- NICE Guideline NG118: Renal and ureteric stones. National Institute for Health and Care Excellence; 2019.
- Katz DS, Lane MJ, Sommer FG. Nontraumatic urinary emergencies: imaging of renal colic. Radiol Clin North Am. 2003;41:1–15.
- Holdgate A, Pollock T. Nonsteroidal anti-inflammatory drugs vs opioids for acute renal colic: meta-analysis. Acad Emerg Med. 2004;11:1229–1236.
- Pathan SA, Mitra B, Cameron PA. Analgesia for acute renal colic: systematic review. Eur Urol. 2018;73:475–481.
- Cordell WH, Wright SW, Wolfson AB, et al. Comparison of intravenous ketorolac vs morphine for renal colic. Ann Emerg Med. 1996;28:720–725.
- Campschroer T, Zhu Y, Duijvesz D, Grobbee DE, Lock MT. Antispasmodics for acute renal colic. Cochrane Database Syst Rev. 2014.
- Hollingsworth JM, Rogers MAM, Kaufman SR, et al. Medical expulsive therapy for ureteral calculi: meta-analysis. Lancet. 2006;368:1171–1179.
- Preminger GM, Tiselius HG, Assimos DG, et al. 2007 guideline for the management of ureteral calculi. J Urol. 2007;178:2418–2434.
©2025 - efurgences.net