pregabaline, usage illicite, surdosage, dépendanceLa Prégabaline (Lyrica® et géneriques) est un médicament anticonvulsivant et anti-neuropathique, appartenant à la classe des «gabapentinoïdes». Initialement autorisée pour le traitement de l’épilepsie partielle et des douleurs neuropathiques, et dans certains pays pour l’anxiété généralisée, elle est de plus en plus prescrite et détournée à des fins non thérapeutiques. Le présent article examine les données récentes relatives à l’usage abusif ou illicite, à l’intoxication par la prégabaline, puis propose des repères pour la prise en charge du surdosage.

MÉCANISME PHARMACOLOGIQUE :
La prégabaline agit principalement en se liant aux sous-unités α₂δ des canaux calciques voltage-dépendants présynaptiques, ce qui réduit la libération de neurotransmetteurs excitateurs (glutam, noradrénaline).

et présente une demi-vie d’élimination d’environ 6 heures chez l’adulte avec fonction rénale normale. 
Elle est presque entièrement excrétée non métabolisée par voie rénale (≈ 98 %)

INDICATIONS PRINCIPALES DU PRÉGABALINE :
• Neuropathie périphérique douloureuse (notamment diabétique ou post-zostérienne)
• Douleurs neuropathiques centrales
• Trouble anxieux généralisé
• Épilepsie partielle (en adjuvant)
L’indication principale est la neuropathie diabétique douloureuse :
• Dose initiale : 75 mg deux fois par jour (soit 150 mg/jour)
• Titration : augmenter après 3 à 7 jours si toléré, jusqu’à :

  • 300 mg/jour (en 2 prises) : dose efficace usuelle
  • 600 mg/jour maximum, si nécessaire et bien toléré
  • Durée du traitement : 6 à 8 semaines à quelques mois. Changer le traitement si inefficace.
  • Ajuster la dose si insuffisance rénale selon la clairance de la créatinine.

Par contre la Prégabaline n’est pas efficace en cas de neuropathie sensitive non douloureuse (hypoesthésie, paresthésies, engourdissement, perte de sensibilité thermique ou vibratoire). Ici, les antalgiques comme la prégabaline ne sont pas indiqués.

EFFETS SECONDAIRES FRÉQUENTS :
• Somnolence, vertiges, ataxie
• Prise de poids
• Œdèmes périphériques
• Troubles de la concentration ou confusion (surtout chez le sujet âgé)
• Risque de dépendance et de sevrage (moins marqué que les opioïdes, mais réel)

USAGE ILLICITE ET DÉPENDANCE DE LA PRÉGABALINE :
Sur le plan de l’utilisation, le rapport de l’ANSM en 2020 [1], note une augmentation continue du nombre de patients exposés en France, passant par exemple à plus d’un million d’utilisateurs en 2019.
En parallèle, l’Eurotox [2] signale l’essor du mésusage (usage hors-indication, doses élevées, trafic de rue) en Belgique francophone.

- Augmentation des prescriptions / consommations : plusieurs pays ont noté une hausse marquée des prescriptions ces dernières années.
- Accentuation des saisies douanières en Europe et en Afrique du nord.
- Les gabapentinoïdes (prégabaline/gababpentine) apparaissent de plus en plus dans les rapports de toxicologie de décès chez les usagers d’opioïdes.

Le détournement de la prégabaline se manifeste de plusieurs manières :
- prises à des doses supérieures à celles prescrites ou hors indication thérapeutique;
- associations avec d’autres dépresseurs du système nerveux central (opiacés, alcool, benzodiazépines) pour renforcer les effets d’euphorie ou de sédation.
- circuits de revente ou trafic de comprimés, en particulier dans des populations vulnérables (usagers sans domicile, migrants, personnes en milieu carcéral). On l'appelle "drogue des pauvres".

Le rapport ANSM [1] indique que 12,8 % des patients exposés dépassaient la dose maximale recommandée dans une étude française (2014-2018). Les notifications d’abus ou dépendance ont connu une forte augmentation dès 2018-2019 : 106 cas en 2018, 234 en 2019 dans le réseau français d’addictovigilance.

INTOXICATION / SURDOSAGE PAR LA PRÉGABALINE :

Signes cliniques :
L’intoxication par prégabaline, bien que relativement rarement isolée, présente le plus souvent des signes de dépression du système nerveux central. Les symptômes fréquemment rapportés sont :
• somnolence excessive, confusion mentale, altération de la coordination (ataxie) ;
• vertiges, vision floue, troubles de l’attention ;
• myoclonies, tremblements, voire convulsions dans certains cas.
• dans le contexte de co-ingestion d’autres dépresseurs (alcool, benzodiazépines, opiacés) ou d’insuffisance rénale, des états de coma, une dépression respiratoire ou une hypotension ont été décrits.

Une étude de dose-toxicité montre que des concentrations plasmatiques > 10 mg/L environ sont associées à des troubles de conscience, et des valeurs vers 25 mg/L ou plus ont été considérées potentiellement létales.

Toutefois, la gravité dépend étroitement de facteurs associés (insuffisance rénale, co-intoxication, dose ingérée).

Facteurs aggravants :
• Insuffisance rénale : l’élimination ralentie provoque l’accumulation et risque accru d’effets toxiques.
• Poly-consommation de dépresseurs du SNC : majoration de la somnolence, de la dépression respiratoire.
• Doses très élevées : possible coma isolé (rare).

CONDUITE À TENIR EN CAS DE SURDOSAGE :

Évaluation initiale :
Recueillir : heure et dose ingérées, autres substances (alcool, benzodiazépines, opiacés), état de la fonction rénale, antécédents d’abus.
Surveillance vitale : conscience, respiration, saturation, tension artérielle, cardio-fréquence, température.
Évaluation neurologique : niveau de conscience (échelle de Glasgow), mouvements myocloniques, convulsions, coordination.
Biologie : ionogramme, fonction rénale (créatinine, clairance), glycémie, gaz du sang si besoin.
Le dosage de prégabaline plasmatique est utile mais peu de laboratoires le disposent. La concentration sanguine thérapeutique retenue est de 2 à 5 mg/L, la concentration toxique à 10 mg/L et la concentration potentiellement létale de 25 mg/L. (Toxlab) (ANSM)

Prise en charge :
- Monitorage cardiorespiratoire, oxygénation, surveillance clinique.
- Hydratation et correction des troubles électrolytiques.
- Le lavage gastrique ou l’administration de charbon activé ne sont généralement pas utiles de façon systématique (la prégabaline est rapidement absorbée), mais peuvent être envisagés si ingestion récente massive et sans contre-indication.
- Il n’existe pas d’antidote spécifique pour la prégabaline.
- En cas d’insuffisance rénale sévère ou de surdosage grave, un traitement par hémodialyse ou techniques de remplacement extracorporel (CRRT) peut être envisagé.
- Le suivie en psychiatrie est recommandé : arrêt progressif de la prégabaline (sur plusieurs semaines), sous supervision médicale.

SURDOSAGE DE PRÉGABALINE
Aspect Description clinique
Profil psychiatrique Troubles anxieux, dépressifs, borderline, polyaddiction
Motifs d’usage détourné Recherche de calme, euphorie douce, atténuation du manque
Comorbidités fréquentes Opiacés, benzodiazépines, alcool, troubles de personnalité
Prise en charge Sevrage progressif, soutien psychothérapeutique, TCC, traitement des comorbidités
Pronostic Favorable si suivi structuré et accompagnement addictologique

CONCLUSION :
La prégabaline est un médicament utile mais dont le potentiel de mésusage et d’intoxication exige vigilance. Le surdosage peut conduire à des signes de dépression neurologique voire respiratoire, particulièrement en contexte de co-ingestion ou d’insuffisance rénale.
Enfin, à l’échelle de la prescription, un renforcement de la surveillance est nécessaire : Ordonnances sécurisées, limiter la durée de prescription à 6 mois, vérifier la présence de facteurs de risque d’abus, éviter les associations à potentiels dépresseurs du SNC, et instaurer un suivi régulier.

RÉFÉRENCES :
1. ANSM : Rapport « Prégabaline ». Rapport d’expertise suivi national addictovigilance, 18/09/2020. ANSM
2. Eurotox : Usage et mésusage de prégabaline (Lyrica®) : appel à la vigilance, Eurotox asbl, 28 janvier 2022. eurotox.org
3. Rietjens SJ, Sikma MA, Hunault CC, de Lange DW, Hondebrink L. : Pregabalin poisoning: evaluation of dose-toxicity relationship. Br J Clin Pharmacol. 2022;88:1288-1297. BPS Publications
4. Isoardi KZ, Polkinghorne G, Harris K, Isbister GK. : Pregabalin poisoning and rising recreational use: a retrospective observational series. Br J Clin Pharmacol. 2020;86:2435-2440. PMC
5. Wood DM, Berry DJ, Glover G et al. : Significant pregabalin toxicity managed with supportive care alone. J Med Toxicol. 2010;6(4):435-437. PubMed
6. Bouchard J, Yates C, Calello DP et al. : Extracorporeal treatment for gabapentin and pregabalin poisoning: systematic review and recommendations from the EXTRIP workgroup. Am J Kidney Dis. 2022;79:88-104. ScienceDirect

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