Agir en urgence, mais ne pas passer à côté d’une complication.
Karim BOUATTOUR (1), Slah GHANNOUCHI (2), Jalel DAHMENE (1), Ghazi GHANNOUCHI (3) (1) Service d’Orthopédie CHU Sahloul; (2) Service des Urgences CHU Farhat Hached; (3) Service des Urgences CHU Sahloul.
Très fréquents, ils sont secondaires à des chocs violents qui peuvent s’appliquer suivant toutes les directions (accidents de la circulation, du travail, chute de hauteur…). Les conséquences des traumatismes de la ceinture scapulaire peuvent être gravissimes, notamment en cas de lésions vasculaires et nerveuses. En effet la ceinture scapulaire a des rapports étroits avec l’artère et la veine axillaires ainsi qu’avec le plexus brachial. Toute lésion peut compromettre toutes les fonctions du membre. Nous essayerons dans ce travail de dégager les conduites à tenir dans un service d’accueil des urgences face à ces traumatismes.
I- RAPPEL ANATOMIQUE :
La ceinture scapulaire relie le membre thoracique au sternum. C’est un complexe articulaire très mobile.
1- Ostéologie :
Le squelette de la ceinture scapulaire est formé de deux os la clavicule et la scapula. Le squelette du bras est constitué par un seul os : l’humérus, qui s’articulera sur la scapula.
2- Arthrologie :
Le complexe articulaire de l’épaule comprend 6 articulations :
Trois sont vraies (reliant deux os) :
- La sterno-costo-claviculaire
- L’acromioclaviculaire
- La scapulo-humérale
Trois espaces de glissement :
Deux de part et d’autre du muscle grand dentelé :
- L’espace inter serratscapulaire et l’espace inter serrato-thoracique.
- Un espace au dessous du muscle deltoïde
- La bourse séreuse sub deltoïdienne.
a- Articulation streno-costo-claviculaire :
c’est La seule vraie articulation reliant le membre thoracique au tronc. La clavicule se comporte comme un arc boutant en s’appuyant sur le sternum et assurant l’écart de l’épaule. Certains auteurs comparent le complexe articulaire de l’épaule à un cerf- volant relié au tronc par cette articulation.
b- Articulation acromio-claviculaire :
Elle est stabilisée par deux systèmes :
- Acromio-claviculaire reliant l’extrémité latérale de la clavicule à l’acromion (épine de la scapula).
- Coraco-claviculaire représenté par les ligaments trapézoïde et conoïde.
c- Articulation scapulo-humérale :
c’est une articulation synoviale douée d’une très grande mobilité. La tête humérale est en forme d’un 1/3 de sphère de 50 mm de diamètre. La surface articulaire scapulaire est constituée par la cavité glénoïde. Elle est ovalaire et a une surface qui est beaucoup moins étendue que la tête humérale. Elle s’élargie par le bourrelet glénoïdal. C’est un fibro-cartilage annulaire, triangulaire à la coupe. La capsule articulaire, lâche et fragile, est renforcée par des ligaments et par les tendons des muscles périarticulaires (coiffe des rotateurs).
d- L’espace interserratscapulaire et l’espace interserratothoracique :
ces sont deux espaces de glissement délimités par le muscle dentelé antérieur du thorax. Ils permettent à la scapula de se mouvoir par rapport à la paroi thoracique :
- déplacement en dehors avec sagittalisation et mouvement inverse.
- translation latérale et verticale.
- mouvement de la sonnette : rotation de la scapula autour d’un axe perpendiculaire à son plan, situé au dessous de l’épine, qui permet d’orienter vers le haut ou vers le bas la cavité glénoïdale.
e- Un espace au dessous du muscle deltoïde:
c’est l’articulation subacromiale. Elle est formée en bas par la partie supérieure du tubercule majeur et en haut par l’acromion. Dans ce défilé de 10 à 15 mm de hauteur, glisse le tendon du muscle supra-épineux.
3- Myologie :
De nombreux muscles s’insèrent sur les pièces squelettiques du complexe articulaire de l’épaule. Ce sont des muscles très puissants. Certains relient les os du complexe articulaire de l’épaule au squelette axial. D’autres relient l’humérus à la ceinture scapulaire.
4- Rapports vasculaires :
L’artère subclavière passe sur la 1ère côte, et comme son nom l’indique, immédiatement sous la clavicule. La veine axillaire lui est satellite.
5- Rapports avec le plexus brachial :
Les nerfs qui assurent l’innervation du membre thoracique dérivent des troncs secondaires du plexus brachial. Ces derniers se trouvent an avant et en arrière de l’artère subclavière. Tous les nerfs du plexus brachial sont mixtes (sensitifs et moteurs). Le tronc secondaire postérieur donne deux nerfs : le nerf circonflexe qui cravate la face postérieure du col chirurgical de l’humérus et innerve le muscle deltoïde et le nerf radial qui assure l’innervation de tous les muscles extenseurs du membre thoracique.
II- ANATOMIE RADIOLOGIQUE :
III- NOTION DE BIOMÉCANIQUE :
La clavicule joue le rôle d’un arc boutant permettant de maintenir l’écart entre l’humérus et le sternum. Les six articulations interviennent dans tous les degrés de mobilité. Le membre thoracique travaille essentiellement en traction. Le complexe articulaire de l’épaule est doué d’une très grande mobilité. Toute lésion ostéoarticulaire peut par les séquelles qu’elle entraîne, compromettre les fonctions du membre thoracique.
IV- LES TRAUMATISMES DU COMPLEXE ARTICULAIRE DE L’ÉPAULE :
A- Les luxations
1- Luxation sterno-claviculaire : Peuvent être antérieures ou postérieures.
Il s’agit le plus souvent d’entorse simple.
a) Antérieures :
Elles sont extrêmement rares. Le diagnostic clinique est facile. L’inspection montre une voussure antérieure. La palpation est douloureuse. La radiographie de face est difficile à interpréter. Le scanner reste l’examen de choix. Pour les luxations vraies, la réduction peut se faire sous anesthésie générale, mais l’instabilité et la récidive sont fréquentes. Le traitement chirurgical peut être discuté, on pratique soit des sutures ligamentaires, soit une fixation par cerclage. C’est une urgence différée. Le traitement est médical à base d’antalgique associé à une écharpe simple.
b- Postérieures :
Elles sont exceptionnelles, mais très graves, car entraînent une compression vasculaire. L’inspection : montre une dépression au niveau de cette articulation. La palpation est très douloureuse. Le pouls radial peut être absent. C’est une urgence chirurgicale.
2- Luxation acromio-claviculaire :
Très fréquentes, elles s’observent surtout chez les sportifs jeunes pratiquant les sports de contact (judo, rugby) et dans les accidents de la circulation à la suite d’une chute de deux roues. Les radiographies de face et un profil de Bernageau sont nécessaires On distinguera quatre stades :
Stade 1 : c’est l’entorse acromioclaviculaire simple.
L’inspection ne trouve pas de déformation. Parfois il existe des lésions cutanées à type d’ecchymoses ou d’excoriation. La palpation trouve une douleur localisée sans laxité.
- Il s’agit d’une simple distension ligamentaire.
- Elles sont souvent méconnues.
- Traitement : Écharpe simple ou Strapping.
Stade 2 : disjonction acromioclaviculaire.
L’inspection trouve une petite déformation avec saillie de l’extrémité acromiale de la clavicule. La palpation objective une laxité verticale en touche de piano. Sur la Radio de face, le déplacement vertical de la clavicule < 1 cm. Le mouvement d’abduction permet la réduction de la déformation. C’est la rupture des ligaments et de la capsule acromio-claviculaire. Traitement : Écharpe simple ou Strapping
Stade 3 : dislocation scapulo claviculaire.
L’inspection montre une déformation importante. La palpation permet de percevoir la clavicule sous la peau. Les laxités sont : verticale et horizontale. Les Radios objectivent une luxation évidente. Cette atteinte n’est pas réductible à la manoeuvre de l’abduction.
- Il s’agit d’une rupture capsulo-ligamentaire acromioclaviculaire.
- une rupture du pivot coraco-claviculaire
- une lésion de la chape musculaire delto-trapézienne.
Le traitement chirurgical peut être discuté, mais elle reste une urgence différée.
Stade 4 : équivalent fracturaire.
A l’inspection la saillie claviculaire est plus interne. La mobilisation entraîne une douleur importante. Sur les radios, la fracture respecte l’articulation acromioclaviculaire. Il s’agit d’une fracture de la clavicule. Un arrachement de la plaque d’insertion des ligaments conoïde et trapézoïde. Le traitement est chirurgical avec une stabilisation acromioclaviculaire. Elle reste une urgence différée
3- Luxation scapulo-humérale :
C’est une lésion très fréquente vu le faible emboîtement de l’articulation. Elles sont le plus souvent antérieures et ceci en raison de la faiblesse du plan capsulo-ligamentaire antérieur.
a- Luxation antéro-interne de l’articulation scapulo-humérale : Examen clinique, à l'inspection :
- Le membre thoracique est en abduction rotation externe.
- Coup de hache externe, sous acromial.
- Le creux sus claviculaire est normal.
- La tête humérale peut être palpée dans le creux axillaire.
L’examen de la sensibilité du moignon de l’épaule est obligatoire ce qui permet de dépister une lésion du nerf circonflexe. On doit également tester la mobilité active des doigts à la recherche d’une lésion du plexus brachial et palper le pouls radial pour dépister une compression de l’artère axillaire. Il faut demander une radiographie de face, son analyse outre la luxation, doit s’obstiner à rechercher une fracture associée. La réduction doit se faire le plus vite possible sous anesthésie générale. Les récidives sont fréquentes et peuvent amener à discuter une intervention chirurgicale.
b- Luxations postérieures de l’articulation scapulo-humérale :
Rares et souvent initialement méconnues. Elles sont constamment associées à des lésions osseuses humérales. On parle souvent d’une fracture luxation.
Elles sont secondaires dans 1/3 des cas à des crises d’épilepsie. Les signes initiaux sont très discrets et le diagnostic retenu est souvent celui d’une contusion de l’épaule.
Un signe pathognomonique : la disparition de la rotation externe en actif et en passif.
Sur la radiographie de face stricte on note la superposition de la tête sur la glène. La radiographie de profil fait le diagnostic. Le scanner est très utile.
C’est une urgence. Le traitement est chirurgical. Il permettra de réduire la luxation et de stabiliser la fracture.
B- Les fractures :
1- Les fractures de la clavicule :
Les ¾ siègent au niveau du 1/3 moyen. L’inspection chez un patient présentant une fracture du 1/3 moyen de la clavicule.
- Le patient se présente avec l’attitude des traumatisés du membre thoracique.
- Le membre traumatisé est en rotation interne.
- Déformation avec saillie de la clavicule sous la peau.
- Comblement du creux sus claviculaire.
- Raccourcissement de la distance épaule/sternum.
- Chute du moignon de l’épaule.
- La peau pouvant être menacée par les bouts fracturaires.
La palpation : Inutile, car douloureuse. Elle permet de vérifier l’intégrité vasculaire et nerveuse :
- En appréciant les fonctions sensitives et motrices au niveau de la main (plexus brachial).
- Le pouls radial (par compression de l’artère subclavière).
- Recherchera un hématome important (en rapport avec une plaie de la veine subclavière).
- La sensibilité du moignon de l’épaule (nerf circonflexe).
- Recherche d’un emphysème sous cutané (embrochage du dôme pleural).
Le bilan radiologique peut se contenter d’une radiographie de face qui permettra d’analyser la fracture
Le traitement est orthopédique avec une immobilisation par :
a- des anneaux claviculaires afin de faire abaisser le segment proximal de la fracture surélevé par le muscle sterno-cléïdo-mastoïdien, ou b- par un Mayo Clinic, en soulevant le moignon de l’épaule. Le traitement chirurgical est indiqué pour les fractures des extrémités de la clavicule et en cas de complication vasculaire ou nerveuse. Souvent une cal vicieuse guette cette affection. Le préjudice est essentiellement esthétique. Dans certains cas il peut avoir des répercussions vasculaires.
2- Les fractures de la scapula :
Peu fréquentes, on distinguera : - Les fractures extra articulaires qui sont de bon pronostic - Des fractures articulaires qui sont redoutables. Elles résultent le plus souvent d’un choc direct postérieur. L’inspection ne relève le plus souvent aucun signe particulier. Parfois une ecchymose voir une voussure postérieure. La palpation orientera sur la topographie, et éliminera une lésion ostéo-articulaire associée. L’auscultation apprécie l’état pleuropulmonaire. Les complications cutanées et vasculo-nerveuses sont exceptionnelles. Le diagnostic est posé par les radiographies.
- Radiographie de face, si possible, bras en abduction.
- Radiographie de profil de Lamy.
- Radiographie de profil de Bernageau.
L’analyse du trait, articulaire ou extra articulaire, conditionnera le traitement :
- Pour les fractures extra articulaires, il est orthopédique : écharpe simple pendant 2 à 3 semaines.
- Pour les fractures articulaires, il sera chirurgical. Mais c’est une urgence différée.
3- Les fractures de l’extrémité supérieure de l’humérus :
Atteignent essentiellement les sujets âgés, souvent à la suite d’accidents domestiques. Le mécanisme est indirect par la chute sur le coude ou le talon de la main. - L’examen clinique :
- L’inspection :
L’attitude du traumatisé du membre supérieur. Tuméfaction de l’épaule, mais qui garde son galbe. L’ecchymose de Hennequin qui intéresse l’aisselle, la paroi latérale du thorax et la face interne du bras.
- La palpation :
Retrouve une douleur exquise. Il ne faut pas chercher une mobilité anormale. Chercher une complication vasculaire (pouls radial) ou nerveuse (nerf circonflexe et plexus brachial). Bilan radiologique : Radiographies de l’épaule de face et un profil transthoracique.
- Traitement :
Pour les fractures peu ou pas déplacées : Echarpe ou bandage type Mayo Clinic pour 3 semaines. On cherchera systématiquement une luxation associée. Le traitement est alors exclusivement chirurgical. Les complications vasculaires et nerveuses sont fréquentes. Elles doivent être minutieusement recherchées. Pour les fractures sous tubérositaires, cervicales vraies ou du trochiter : il est chirurgical, mais en urgence différée.
V- CONCLUSION :
Les fractures de la ceinture scapulaire et du col chirurgical de l’humérus, constituent un motif fréquent de consultation aux urgences. Les complications doivent être systématiquement recherchées par un examen minutieux et systématique
- Recherche d’une atteinte cutanée.
- Palper le pouls radial à la recherche d’une lésion de l’artère axillaire.
- Rechercher un hématome volumineux qui peut témoigner d’une lésion veineuse.
- Tester la sensibilité du moignon de l’épaule à la recherche d’une lésion du nerf circonflexe.
- Tester la sensibilité et la mobilité des doigts à la recherche d’une atteinte du plexus brachial.
- Rechercher un emphysème sous cutané, surtout en cas de fracture de la clavicule.
Quant au traitement :
- Toute complication constatée ou même suspectée constitue une urgence chirurgicale.
- Les luxations doivent être traitées en urgence, sous anesthésie générale.
- Les fractures fermées, sans complications vasculaires ni nerveuses sont des urgences différées.
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