Étude clinique
Le déroulement de l'examen clinique d'un enfant qui se plaint de douleur post traumatique au niveau d'un membre doit être méthodique et de durée suffisante. Trois étapes sont nécessaires, et se suivent rapidement dans le temps : l'interrogatoire, l'inspection et l'examen physique locorégional et général.
A/ L’interrogatoire :
II faut savoir engager une vraie discussion avec l'enfant, en utilisant un ton calme, afin de le tranquilliser, et surtout obtenir sa confiance.
Il est vivement conseillé de commencer cette discussion par demander le nom de l'enfant, son âge, son niveau scolaire, son adresse, le nom et l’âge de ses frères et sœurs éventuellement.
Parfois, il est nécessaire de calmer un jeune enfant ou nourrisson qui pleure, en lui touchant le membre indolore. Tout en interrogeant les parents, on essaie d'attirer son attention en lui tendant un jouet, un stylo, un stéthoscope, des clés... Ces gestes permettent à l'examinateur d'évaluer la tentative de faire bouger son membre douloureux.
L’interrogatoire permet de savoir avec détails les circonstances d'apparition de la douleur :
- Comment elle est survenue, demander si elle était spontanée ou secondaire à un traumatisme ?
- A quel moment de la journée ou de la nuit, elle a commencé ?
On est alors, en présence de deux situations : très souvent la douleur est apparue à la suite d’un traumatisme, et beaucoup plus rarement elle était spontanée.
1/ La douleur est secondaire à un traumatisme
Généralement les parents, ou bien l’enfant lui-même, rapportent la notion d’un traumatisme même bénin. Souvent, le parent n’a même pas assisté à ce «traumatisme», il faut cependant en tenir compte. Il est nécessaire, alors de préciser et de détailler les caractéristiques suivantes :
a) Son mécanisme
S'il s'agit d'une chute pendant les jeux, d'une chaise ou d'une table, d'une fenêtre, d'un toit, d'une bicyclette ... ?
b) Sa localisation
La douleur peut siéger à un segment de membre ou au niveau d'une articulation.
Comment s'est faite la réception sur le membre après la chute ?
S'il y a eu des écorchures ou des plaies associées ?
c) Ses conséquences immédiates
C'est une vraie enquête sur les détails concernant les suites immédiates du traumatisme.
Les questions à poser sont :
- S'il a eu mal juste après le traumatisme ?
- S'il a pu mobiliser son membre atteint ?
- S'il a pu se relever et marcher juste après le traumatisme ?
- S'il a pu reprendre son activité et son jeu avec ses camarades ?
- Si la douleur est apparue quelques heures après, le soir en particulier, le faisant réveiller, ainsi que ses parents ?
d) Son traitement éventuel
- S'il a eu un traitement par ses parents à domicile ? (Antalgique, bandage avec alcool ou synthol, scarifications...)
- S'il a été amené rapidement à la consultation ?
- Si les douleurs sont en régression ou au contraire d’intensité augmentée tardivement durant la nuit ?
2/ La douleur est d'apparition spontanée
Parfois le traumatisme n'est pas évoqué, ou non retenu et la douleur est apparue spontanément et brutalement.
La prise de la TEMPÉRATURE RECTALE est obligatoire en particulier quand :
- Le traumatisme n'est pas évident.
- Le membre ne présente pas de déformation visible et évidente évoquant une fracture.
- L'enfant marche avec boiterie ou mobilise difficilement son membre thoracique.
- Les parents rapportent la notion de fièvre.
- La douleur est apparue plusieurs heures ou tard dans la soirée, après un traumatisme banal.
En cas de fièvre, on doit évoquer obligatoirement l’infection ostéo-articulaire, qui est responsable de la douleur très souvent à sa phase inflammatoire surtout si elle est récente n'excédant pas 24 heures.
B/ L’inspection
C'est un temps capital, et doit être mené chez un enfant déshabillé entièrement. Déjà au cours de l'interrogatoire, les yeux de l'examinateur ne doivent pas quitter le membre douloureux de l'enfant à qui on demande de marcher et de mobiliser le segment du membre. Lors de cette inspection, il faut préciser certaines caractéristiques du membre : son attitude, une déformation éventuelle, l'état cutané.
1/ L’attitude du membre
a) Le membre thoracique : Peut être maintenu par une attelle ou une écharpe ou tout simplement par l'autre membre sain.
b) Le membre pelvien : L'enfant peut marcher avec ou sans boiterie, il peut aussi être impotent et assis sur un fauteuil roulant, ou bien allongé sur un brancard.
2/ La déformation du membre
L'inspection précise également :
- L'existence d'une déformation ou augmentation anormale du volume d'un segment de membre.
- L'existence d'une tuméfaction articulaire anormale.
3/ L'état cutané
II est capital de préciser l'état de la peau en regard de la zone douloureuse, avec présence de rougeur ou de traces de contusion, d’écorchures ou de scarifications.
C/ La palpation
C'est la dernière étape capitale de l'examen clinique. Son but est de confirmer un diagnostic suspecté et rechercher une complication. La palpation débute par les zones indolores du membre.
Dans tous les cas, il ne faut pas mobiliser un segment de membre déformé et douloureux, le diagnostic de fracture étant certain. Mais il faut cependant :
- Noter la couleur et la chaleur cutanée et palper obligatoirement les pouls distaux des extrémités du membre.
- Rechercher l'existence éventuelle d'un gonflement ou oedème des extrémités provoqués par «l'effet de garrot» dû à l'écharpe maintenant le membre au cou ou une éventuelle attelle plâtrée.
- Apprécier la chaleur cutanée en regard d'une tuméfaction ou gonflement d'une articulation en comparaison avec le côté controlatéral surtout quand la température rectale est élevée : le diagnostic d'infection ostéo-articulaire est évoqué en premier lieu.
- Étudier la sensibilité au toucher d'un segment distal du membre
- Exiger la mobilisation active des extrémités : en cas de traumatisme du membre supérieur, il faut demander de fléchir et étendre les doigts et le coude : en cas de paralysie du plexus brachial il existe une paralysie totale ou partielle de ces mouvements.
- Palper les saillies osseuses péri articulaires, à l'aide de la pulpe de l'index de préférence, et préciser la ou les zones douloureuses : en effet une douleur circonférentielle en zone métaphyso-épiphysaire est évocatrice d'une ostéomyélite aiguë si la fièvre est élevée, et d'un décollement épiphysaire en cas d'apyrexie.
-Tenter une mobilisation avec grande douceur d'une articulation augmentée de volume : en cas d'arthrite infectieuse, toute tentative de mobilisation articulaire est impossible, alors qu'elle est possible en cas de décollement épiphysaire non déplacé.
Cette distinction entre point osseux douloureux et partie molle douloureuse est capitale, en fonction de l'articulation examinée :
1/ Au niveau du coude
La palpation douce :
- De son bord externe, évoque un décollement de l'épicondyle externe.
- De son bord interne, évoque un décollement de l'épicondyle médial.
- De son bord postérieur, évoque une fracture de l'olécrane.
- De l'extrémité inférieure de l'humérus, évoque une fracture supra condylienne.
- Des parties molles péri articulaires, entre les saillies osseuses, on évoque une lésion ligamentaire si la température est normale.
Dans le cas de fièvre élevée, le diagnostic d'arthrite aiguë est à évoquer en premier lieu.
2/ Au niveau du poignet
En l'absence de déformation :
- La douleur retrouvée à la palpation de la métaphyse radiale est synonyme de décollement épiphysaire.
- L'indolence totale de l’épiphyse radiale et ulnaire, et l'existence de douleur des parties molles, ligamentaire et dorsale du poignet est synonyme d'entorse probable si la température est normale.
- Chez l'adolescent le diagnostic de fracture du scaphoïde est à éliminer.
3/ Au niveau du genou
a) En présence de fièvre :
La douleur à la palpation de l’extrémité inférieure du fémur est en faveur d’une ostéomyélite aiguë.
Il en est de même pour la douleur de l'extrémité supérieure du tibia.
b) En absence de fièvre :
Lorsque le genou présente un déficit évident d'extension, le diagnostic de blocage est évoqué, il est secondaire à un ménisque discoïde ou à une anse de seau méniscal.
La douleur métaphysaire est synonyme de décollement épiphysaire.
ÉTUDE RADIOLOGIQUE :
L’exploration radiologique est le plus souvent guidée par un examen clinique soigneux. Il comporte deux clichés systématiques centrés sur l’articulation intéressée : un cliché de face et un autre de profil. L’analyse radiologique doit porter surtout sur la description du trait de fracture et/ou du décollement épiphysaire et le déplacement, c’est à dire essayer de préciser la variété anatomique selon une certaine classification.
Classification de SALTER et HARRIS :
En fonction des éléments cliniques et radiologiques, plusieurs classifications ont été établies par : FOUHLER en 1863, POLLAND en 1897, ANTON en 1919 et enfin SALTER et HARRIS en 1963. Cette dernière est la plus connue et répandue parce qu’elle permet de prévoir le pronostic ultérieur. Elle tient compte de la direction de ligne de force qui traverse la couche hypertrophique du cartilage de croissance et de la nature du mécanisme vulnérant.
On distingue cinq types de décollement épiphysaire selon la classification de SALTER et HARRIS.
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Type I
C’est un décollement épiphysaire pur : la ligne de force est transversale, traversant la couche hypertrophique du cartilage de croissance sur toute sa longueur, détachant l’épiphyse de la métaphyse, sans lésions osseuses associées.
√ Il représente 6% de tous les traumatismes du cartilage de croissance.
√ Le mécanisme est celui d’un cisaillement ou avulsion. Ce type de décollement est fréquent chez le nouveau né (Traumatisme obstétrical) ou chez le petit enfant. Le siège préférentiel d’atteinte est l’extrémité supérieure et inférieure de l’humérus et l’extrémité supérieure du fémur.
√ Le diagnostic radiologique est d’autant plus facile que le déplacement de l’épiphyse est important. Par ailleurs, la tuméfaction des parties molles et le discret élargissement partiel d’une partie du cartilage de croissance font évoquer le diagnostic de décollement non ou peu déplacé, associé à la douleur à la palpation et l’absence de fièvre.
√ Si la réduction est obtenue, le pronostic est bon et ne laisse pas de séquelles de croissance du cartilage.
Le risque de nécrose de l’épiphyse, se voit surtout dans le décollement déplacé du noyau épiphysaire proximal du fémur. Ce risque existe à cause du caractère intra articulaire de cette épiphyse et donc de lésions vasculaires.
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Type II
√ Il est appelé décollement impur ou décollement fracture : la ligne de force traverse la couche hypertrophique du cartilage de croissance sur une certaine longueur puis s’infléchit dans la métaphyse : ainsi, un fragment osseux métaphysaire plus ou moins volumineux s’arrache et reste collé au cartilage de croissance. L’épiphyse et le fragment métaphysaire arraché peuvent être en place ou moyennement ou très déplacés.
√ C’est le plus fréquent et représente 50 à 70 % de tous les traumatismes du cartilage de croissance.
Le mécanisme est le même que celui du type I. Il est plus fréquent au niveau de l’extrémité inférieure du radius et chez l’enfant de plus de 10 ans.
Le diagnostic radiologique repose sur une triple association :
- Le trait passe par la métaphyse et rejoint le cartilage de croissance.
- Élargissement du cartilage de croissance.
- Déplacement plus ou moins marqué de l’épiphyse.
Le pronostic est bon car la vascularisation épiphysaire et l’organisation cellulaire sont épargnées.
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Type III
C’est un décollement fracture ou fracture intra articulaire : la ligne de force est verticale, trans-épiphysaire puis traverse horizontalement une partie de la couche hypertrophique du cartilage de croissance, décollant ainsi un fragment épiphysaire.
C’est une lésion peu fréquente, elle représente 6 à 10 % des traumatismes du cartilage de croissance.
Le mécanisme est celui d’une torsion. Ce décollement concerne surtout l’extrémité supérieure et inférieure du tibia et l’extrémité inférieure du fémur.
Le diagnostic radiologique est basé sur :
- Un élargissement partiel de la plaque de croissance.
- Une fracture épiphysaire verticale.
- Déplacement plus ou moins marqué de l’épiphyse.
Le pronostic dépend de la qualité de la réduction qui est toujours chirurgicale. Il est le plus souvent bon.
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Type IV
C’est un décollement fracture ou fracture intra articulaire : la ligne de force traverse verticalement l’épiphyse et le cartilage de conjugaison pour se terminer dans la métaphyse, détachant ainsi un fragment triangulaire plus ou moins volumineux, qui reste collé au cartilage de croissance et une partie de l’épiphyse.
L’incidence est de 10 %, intéressant le plus souvent le condyle de l’humérus et plus rarement l’extrémité inférieure du tibia.
Le diagnostic radiologique repose sur :
- L’existence d’un trait métaphysaire et épiphysaire.
- Déplacement plus ou moins marqué du fragment épiphyso-métaphysaire décollé.
Le pronostic dépend de la qualité de réduction qui ne peut être que chirurgicale et qui doit assurer l’alignement axial et le rétablissement exact de la surface articulaire. Le risque de déformation articulaire ultérieure est dû à une stérilisation partielle du cartilage de croissance.
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Type V
Il est grave et rare (inférieur à 1 %) et représente un écrasement partiel ou total du cartilage de croissance, intéressant le plus souvent la cheville et le genou.
La gravité est due au fait que le diagnostic est presque impossible à faire en urgence, car le déplacement est souvent peu important et ce n’est qu’avec des clichés comparatifs qu’on peut s’aider à chercher une asymétrie de l’épaisseur du cartilage de croissance.
L’évolution se fait vers l’épiphysiodèse ou stérilisation d’une partie ou la totalité du cartilage de croissance, réalisant un pont d’ossification qui fait parfois évoquer le diagnostic initialement méconnu. Les contrôles radiologiques réguliers plusieurs mois après le traumatisme sont nécessaires à la recherche de ce pont d’épiphysiodèse et à fin de le traiter à temps.
CONCLUSION :
Pathologie fréquente, parfois lourde de conséquences fonctionnelles, le décollement épiphysaire est la séparation brutale post-traumatique d’une épiphyse de son attache métaphysaire au niveau du cartilage de croissance.
Les traumatismes du cartilage de croissance sont des lésions fréquentes et constituent une variété particulière du traumatisme du squelette de l’enfant. Ces lésions sont les plus caractéristiques et les plus typiques de l’orthopédie pédiatrique d’urgence.
Leur diagnostic est difficile surtout chez le nourrisson et dans les cas peu ou non déplacés.
Ce sont des lésions graves, car méconnues ou incorrectement traitées, elles exposent au risque d’atteinte de la fertilité du cartilage de croissance.
L’examen clinique de l’enfant traumatisé doit être doux, minutieux et ciblé.
Il doit confirmer la présence d’une lésion traumatique et rechercher d’autres complications en s’aidant par l’interrogatoire, l’inspection et la simple palpation des zones douloureuses par les bouts des doigts.
L’étude théorique des différents décollements épiphysaires par région, facilite l’approche diagnostique et thérapeutique.
L’incidence de l’atteinte est variable selon la topographie de la lésion : le coude, en particulier le condyle externe et l’extrémité inférieure du radius sont les sites privilégiés des décollements épiphysaires, leurs incidences respectives étant de 30% et de 26%.
Une bonne connaissance de la radio-anatomie normale est capitale. En effet, l’épiphyse est la confluence d’un ou de plusieurs centres d’ossifications dont, la chronologie d’apparition est variable selon le membre considéré. En absence de ces points, le refoulement des liserés graisseux, traduit l’épanchement intra-articulaire et doit faire rechercher les décollements épiphysaires ou les fractures articulaires chez le jeune enfant. Certains repères osseux concernant essentiellement l’articulation du coude, siège de traumatisme à piège, orientent le diagnostic.
Le bilan radiologique doit être réfléchi et guidé par un examen clinique soigneux. Il comporte deux radiographies systématiques centrées sur l’articulation intéressée : une de face, l’autre de profil.
L’échographie n’est utile qu’en cas de suspicion de décollement épiphysaire de l’extrémité supérieure et inférieure de l’humérus chez le nouveau-né et le nourrisson, en raison de possibles difficultés d’interprétations.
L’analyse radiologique doit porter surtout sur la description du trait de fracture et/ou du décollement épiphysaire et de son déplacement.
Le diagnostic radiologique est d’autant plus facile que le déplacement de l’épiphyse est important.
En fonction des éléments clinico-radiologiques, plusieurs classifications ont été établies, la plus connue est celle de SALTER et HARRIS parce qu’elle permet de prévoir le pronostic ultérieur. Elle tient compte de la direction de la ligne de force qui traverse la couche hypertrophique du cartilage de croissance ainsi que de la nature du mécanisme vulnérant.
Dans cette classification on distingue cinq types de décollements épiphysaires.
Le traitement des décollements épiphysaires est toujours urgent et fonction du type et de l’importance du déplacement :
- Dans les décollements type I et II de SALTER peu ou non déplacés : une immobilisation plâtrée pendant quatre à six semaines est préconisée
- Dans les décollements type I et II de SALTER déplacés : on préconise une réduction orthopédique sous anesthésie générale avec immobilisation plâtrée pendant six à huit semaines.
- La réduction chirurgicale n’est indiquée que lorsque les tentatives de réduction par manœuvres externes échouent.
- Dans les décollements type III et IV de SALTER : une réduction sanglante par embrochage, suivie d’une contention plâtrée pendant six à huit semaines est indiquée.
© Pr Slaheddine Ghannouchi - Orthopédie -