Pr Karim BOUATTOUR
Service d’orthopédie, Hôpital Sahloul, Sousse
Les traumatismes liés à la pratique sportive sont en constante augmentation. Le médecin urgentiste confronté à un traumatisme sportif doit avant tout dépister une complication immédiate qui requiert un traitement urgent. Il doit également avoir suffisamment de connaissances afin de diagnostiquer une lésion grave, qui nécessitera un avis spécialisé, ou une lésion bénigne. Il faut également considérer tout particulièrement les sportifs de compétition, car une lésion mal prise en charge peut signifier la fin de la carrière sportive. Plutôt que de détailler l’ensemble des traumatismes liés au sport, nous proposons ici une attitude pratique face aux traumatismes les plus fréquents.
A - L’ENTORSE ACROMIO CLAVICULAIRE :
Il s’agit d’une lésion fréquente chez le sportif. Les sports concernés sont essentiellement les arts martiaux et le rugby. Elle pose un problème dans la conduite thérapeutique : médicale ? orthopédique ? chirurgicale ?
L’examen :
Prenons le cas typique d’un judoka qui se présente aux urgences pour un traumatisme de l’épaule suite à une chute au cours d’un combat.
Le patient se présente avec une impotence fonctionnelle partielle du membre supérieur. L’attention de l’examinateur est rapidement attirée vers l’acromio claviculaire, siège des douleurs.
L’interrogatoire doit préciser le niveau sportif ainsi que le mécanisme. Généralement il s’agit d’une chute sur le bras en adduction. Dans ce mécanisme, l’acromion est violemment heurté par l’humérus porté en adduction alors que la clavicule est fermement maintenue par le verrouillage des ligaments sternoclaviculaires et par le point d'appui sur la première côte. La force vulnérante verticale s'exerce de dehors en dedans : elle intéresse en premier lieu l'articulation acromioclaviculaire, puis l'extrémité externe de la clavicule, et enfin les ligaments coraco claviculaires.
L'examen note une douleur élective au niveau de l'articulation acromio-claviculaire qui est souvent le siège d'une tuméfaction reconnue dès la seule inspection et par comparaison avec le côté opposé.
La mobilité de l'épaule est limitée en raison des douleurs. L'abduction active au-delà de l'horizontale est particulièrement pénible car elle met en jeu la scapula et donc l'acromio claviculaire. Les mouvements passifs sont normaux.
On doit rechercher deux signes d'examen, témoins de l'atteinte acromio-claviculaire :
- la mobilité en « touche de piano » de l'extrémité externe de la clavicule;
- le tiroir antéropostérieur de la clavicule.
Quand la chape deltotrapézienne est rompue, on peut observer soit un déplacement majeur, soit une luxation irréductible correspondant à la perforation de la chape avec impossibilité du retour à sa place de la clavicule.
Les radiographies sont parfois d’interprétation difficile car elles dépendent de l’incidence. Il faut demander une incidence acromio-claviculaire et non un cliché de l’épaule. Elles permettent d’éliminer une fracture et de montrer un écart anormal entre la clavicule et l’acromion.
La gravité de l’entorse:
Le diagnostic d’entorse acromio claviculaire étant posé, il faut évaluer sa gravité.
Pour cela la classification de Rockwood reste la plus complète, mais d’utilisation courante difficile.
On peut plutôt considérer 3 types d’entorses :
- Les entorses bénignes, caractérisées par l’absence de déplacement.
- Les entorses de moyenne gravitée, caractérisées par un déplacement modéré et un signe de la touche de piano. Elles comportent une rupture du ligament acromio claviculaire seul.
- Les entorses graves : avec déplacement important de la clavicule, parfois irréductible. Les lésions comportent une rupture du ligament acromio claviculaire ainsi que du ligament conoïde et trapézoïde.
Que faire aux urgences ?
- D’abord éliminer une complication vasculo-nerveuse (rare) par la palpation des pouls distaux et l’examen de la mobilité et de la sensibilité des doigts.
- Ensuite éliminer une lésion associée et évaluer la gravité de l’entorse.
L’attitude dépend de la gravité de l’entorse.
- Pour les entorses bénignes, un traitement antalgique et anti inflammatoire associé à une immobilisation de l’épaule par écharpe simple pour une courte durée restent suffisants.
- Pour les entorses de moyenne gravité, on réalisera un traitement orthopédique par :
Bandage élastoplaste, en «U» pour abaisser la clavicule ou
Orthèse type Kenny Howard, censée abaisser la clavicule et maintenir l’humérus
Cependant l’efficacité de ce traitement est aléatoire et doit être surveillé dans tous les cas.
Un avis spécialisé sera nécessaire, en urgence différée, surtout s’il s’agit d’un sportif de compétition.
- Pour les entorses graves, le traitement sera chirurgical, en urgence différée.
Les techniques sont nombreuses : haubannage acromio claviculaire associée à une suture des ligaments acromio claviculaires, intervention de Weaver Dunn…
B - LA FRACTURE DU SCAPHOÏDE CARPIEN :
Elle est caractérisée par
- Des difficultés de diagnostic
- Un traitement long
- Le risque de pseudarthrose
Il s’agit le plus souvent d’un sportif qui consulte pour traumatisme du poignet, qu’il ne faut pas «étiqueter» trop rapidement d’entorse.
La première chose à savoir est le mécanisme.
Une étude expérimentale ayant montré que ces fractures sont difficiles à reproduire expérimentalement mais que le mécanisme en cause était une chute sur la paume de la main en hyperflexion appuyée. Ainsi tout autre mécanisme en cause laisse peu plausible le diagnostic de fracture du scaphoïde, sauf les traumatismes directs par le ballon chez les gardiens de but en hand ball.
L’examen recherche une douleur à la palpation de la tabatière anatomique, poignet en flexion palmaire et inclinaison ulnaire.
Les radiographies doivent dérouler le scaphoïde. Il faut faire un cliché de face poignet semi fléchi, des trois quarts et un profil.
Les radiographies montrent le trait de fracture, son siège et surtout son déplacement. Mais elles peuvent être «normales». On réalisera alors en urgence différée un scanner.
L’autre possibilité est une immobilisation provisoire par orthèse amovible et la réalisation de nouveaux clichés entre J10 et J15.
Le traitement est le plus souvent orthopédique. L’immobilisation se fait par une manchette plâtrée ou en résine et dure 90 jours. L’immobilisation de la première colonne est indispensable. L’immobilisation du coude est discutable, certaines études ayant montré l’absence de différence entre l’immobilisation par manchette ou par plâtre brachio anté-brachial.
Il est inutile de demander des radiographies de contrôle sous plâtre car il est très difficile d’apprécier un éventuel déplacement secondaire.
Le traitement chirurgical (embrochage ou vissage) s’impose dés que le déplacement est supérieur à 2 mm. Il sera réalisé en urgence différée.
C - LES ENTORSES DU GENOU :
Elles sont très fréquentes.
Le but de l’examen est de faire un diagnostic lésionnel précis et de reconnaître une entorse grave (lésion du pivot central).
Il s’agit le plus souvent d’un footballeur victime d’un traumatisme du genou. Il consulte pour impotence fonctionnelle partielle et gros genou tuméfié et douloureux.
L’interrogatoire est primordial. Il doit faire préciser :
- Le mécanisme : à la recherche d’un mécanisme évoquant une lésion du ligament croisé antérieur (LCA) ou postérieur (LCP).
- Les signes immédiats, au nombre de 4 :
- Le craquement audible
- Le gonflement immédiat et rapide du genou
- La sensation de « déboîtement » du genou
- L’arrêt immédiat du match avec impossibilité de reprendre
Un mécanisme évocateur (Valgus flexion rotation externe, varus rotation interne, shoot dans le vide) associé à l’un ou plusieurs de ces signes évoquent très fortement une entorse grave, en particulier une lésion du LCA.
L’examen clinique permet le plus souvent de confirmer le diagnostic, mais il peut être difficile à réaliser en urgence en raison de l’œdème et de la douleur.
Le genou est tuméfié. Le choc rotulien est positif et témoigne, par sa rapidité d’installation, de la présence d’une hémarthrose, ce qui en dehors d’une fracture articulaire ou d’une luxation de rotule, témoigne d’une lésion du LCA ou du LCP.
La palpation des reliefs osseux est indolore.
La mobilité du genou est souvent limitée par la douleur.
Le testing ligamentaire va étudier :
Les ligaments latéraux par des mouvements de varus ou de valgus à 20° de flexion
Le LCA : par la manœuvre de Trillat Lachman et la recherche d’un ressaut
Le LCP : Par la recherche d’un tiroir postérieur
La palpation des pouls distaux doit être systématique.
En cas d’entorse grave, le patient est immobilisé par attelle genouillère amovible avec prescription d’antalgiques, anti-inflammatoires et cryothérapie et adressé en consultation d’orthopédie.
Si la lésion du LCA est confirmée, un geste chirurgical sera proposé au patient (greffe ligamentaire).
Questions et réponses :
♣ Que faire si le patient est très algique et l’examen difficile ?
Eliminer une complication vasculo-nerveuse Eliminer une fracture (par l’examen clinique et en cas de doute par des radiographies du genou) Rechercher des éléments de l’interrogatoire qui évoquent une entorse grave Immobiliser par attelle et réexaminer le patient ultérieurement (7-15J) en consultation d’orthopédie
♣ Faut il ponctionner le genou ?
Une hémarthrose importante est source de douleurs. La ponction est facile et bénéfique mais doit être réalisée dans le respect des règles d’asepsie.
♣ Faut il faire des radiographies devant toute «entorse» du genou ?
Les radiographies sont nécessaires en cas de gros genou tuméfié, à la recherche de : Fracture d’une épine tibiale Fracture de Segond (petite calcification antéro externe en regard du tibia) fortement évocatrice de rupture du LCA
♣ En cas de suspicion d’entorse grave, s’agit il d’une urgence ?
Il ne s’agit pas d’une urgence. Mais il faut éliminer une luxation réduite ou une lésion bicroisée (par l’interrogatoire et par l’examen clinique qui montre une laxité importante dans tous les plans), ces lésions s’accompagnent fréquemment de complications vasculo-nerveuses.
Pour les entorses graves du LCA ou du LCP, le patient sera revu en consultation spécialisée. Une ligamentoplastie sera proposée aux patients jeunes, sportifs et motivés après un délai compris entre 1 mois et 1 an.
♣ Quelles sont les autres explorations à demander en urgence ?
Aucune, en dehors des complications.
En cas de doute chez un sportif de compétition, une IRM pourra être réalisée dans les jours qui suivent le traumatisme
D - LES ENTORSES DE LA CHEVILLE :
Il s’agit essentiellement des lésions du ligament latéral externe (LLE)
Elles posent 2 problèmes : évaluer la graviter et comment la traiter.
Il s’agit typiquement d’un footballeur, victime d’une torsion de la cheville en varus équin.
L’évolution de l’entorse se fait en 3 stades
- Une douleur initiale aiguë avec gonflement modérée
- Une période d’accalmie de quelques heures, pouvant parfois autoriser la reprise du match
- Une période de reprise de douleurs aiguës et insomniantes avec œdème sous malléolaire en œuf de pigeon et ecchymose
L’impotence fonctionnelle est partielle, permettant au patient de faire quelques pas.
La palpation doit d’abord éliminer une fracture d’une malléole ou de la base du cinquième métatarsien, puis rechercher des douleurs sur le trajet des 3 faisceaux du LLE.
Les radiographies sont inutiles si l’examen clinique n’a pas montré de douleur osseuse.
Le diagnostic de gravité reste difficile. En faveur d’une entorse grave, on retiendra :
- Une douleur sur les 3 faisceaux du LLE
- Une ecchymose étendue
- Une laxité évidente (Bâillement, tiroir)
Le traitement des entorses du LLE comporte des antalgiques, des anti inflammatoires et une cryothérapie mais surtout l’immobilisation de la cheville
Celle-ci se fait au mieux par une orthèse amovible qui limite les mouvements de varus et de valgus et permet une certaine flexion dorsale et plantaire. Ces orthèses, qui permettent le port de chaussures doivent être gardées 4 à 6 semaines.
Ces orthèses remplacent avantageusement l’immobilisation plâtrée (trop contraignante) et le strapping par bandes élastiques adhésives dont l’efficacité est aléatoire
© Karim Bouattour - efurgences