Les rectorragies (émission de sang rouge par l’anus) sont un motif fréquent en médecine générale. L’objectif est d’identifier rapidement les causes bénignes et les signes en faveur d’une pathologie grave (notamment néoplasique), d’évaluer la sévérité et d’orienter le patient vers les examens appropriés.
1. Examen clinique : étape fondamentale
1.1 Interrogatoire
- Caractéristiques du saignement : couleur (rouge vif vs sang noir digéré), volume, fréquence, moment (fin de selle), avec ou sans caillots.
- Signe associés : douleur anorectale, ténesme, diarrhée, constipation, amaigrissement, fièvre.
- Facteurs de risque : antécédent familial de cancer colorectal, antécédents personnels de Maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), prise d'AINS, anticoagulants ou antiagrégants, radiothérapie pelvienne, troubles de coagulation.
1.2 Examen physique
- Inspection de la marge anale (recherche hémorroïdes externes, thrombose, fissure) +++
- Toucher rectal (TR) systématique : rechercher masse, sang sur le gant, douleur.
- Examen abdominal : palpation, masse, défense.
- Recherche signes de gravité : pâleur, tachycardie, hypotension.
À retenir : tout patient ≥50 ans avec rectorragies nouvelles, ou anomalie au TR, mérite une investigation endoscopique prioritaire. Penser à une hémorragie haute (hématémèse) lorsque le sang est noir (digéré) ou hémorragie abondante !
2. Principales étiologies des rectorragies
2.1 Étiologies fréquentes et généralement bénignes
- Hémorroïdes (internes/externe) : sang rouge vif, souvent indolore pour hémorroïdes internes.
- Fissure anale : douleur aiguë à la défécation, saignement minime.
- Polypes colorectaux : saignement intermittent parfois minime.
- Diverticulose : saignement abondant, indolore.
- Angiodysplasies : saignements intermittents, parfois occultes.
- Rectite radique : antécédent d’irradiation pelvienne.
2.2 Étiologies plus graves ou nécessitant orientation spécialisée
- Cancer colorectal : rectorragies, modification du transit, anémie ferriprive, amaigrissement.
- MICI (rectocolite hémorragique, maladie de Crohn) : diarrhée glairo-sanglante, douleurs abdominales.
- Colites infectieuses : fièvre, diarrhée; agents: Shigella, Salmonella, Campylobacter, C. difficile.
- Colite ischémique : douleur abdominale aiguë + rectorragies chez patients à risque vasculaire.
- Causes iatrogènes : anticoagulants, AINS, antiagrégants plaquettaires.
3. Moyens de diagnostic
3.1 Examens de première intention
- Numération formule sanguine (NFS) — rechercher anémie.
- CRP si suspicion d’infection/inflammation.
- Bilan de coagulation si patient sous anticoagulant ou signes hémorragiques anormaux.
- Coproculture / recherche Clostridioides difficile si diarrhée fébrile ou post-antibiotiques.
3.2 Explorations endoscopiques
- Rectosigmoïdoscopie : utile pour source distale (hémorroïdes internes, RCH).
- Coloscopie totale : examen de référence — indiquée pour rectorragies inexpliquées, patient ≥50 ans, anémie ferriprive, antécédent familial.
3.3 Imagerie
- Angio-TDM abdominale en urgence si saignement massif nécessitant localisation du point de saignement.
- IRM pelvienne pour caractériser tumeur rectale après confirmation endoscopique.
4. Conduite à tenir pour le médecin généraliste
4.1 Identifier les situations d’urgence
Hospitaliser immédiatement si : signes d’hémorragie aiguë (tachycardie, hypotension), saignement abondant persistant, anémie sévère, troubles de coagulation, suspicion de colite ischémique aiguë.
4.2 Indications d’une coloscopie rapide
- Âge ≥50 ans avec rectorragies nouvelles sans cause anorectale évidente.
- Rectorragies associées à modification du transit.
- Rectorragies + anémie ferriprive.
- Antécédents familiaux de cancer colorectal ou adénome avancé.
4.3 Traitement et suivi en soins primaires
- Hémorroïdes : mesures hygiéno-diététiques (fibre, hydratation), traitements topiques, veinotoniques; orientation proctologique si récurrent.
- Fissure anale : laxatifs doux, bains chauds, pommades locales; traitement chirurgical en cas de fissure chronique réfractaire.
- Diarrhée infectieuse : réhydratation, traitement ciblé si agent identifié.
- Iatrogénie : reconsidérer AINS, anticoagulants; concertation avec prescripteur si nécessaire.
Suivi : toute rectorragie qui ne répond pas au traitement local ou si le tableau clinique évolue doit conduire à une réévaluation et à une coloscopie si nécessaire.
Arbre décisionnel (rappel)
| Situation clinique | Signes associés | Décision, examens initiaux | Orientation |
|---|---|---|---|
| Rectorragies minimes, jeune patient (<50 ans), source anorectale évidente | Sang rouge vif, douleur typique fissure, examen proctologique positif | TR + inspection, mesures hygiéno-diététiques, traitement local | Suivi en MG; proctologie si échec |
| Rectorragies répétées ou modérées, âge ≥50 ans | Anémie, modification du transit, perte de poids | NFS, CRP, bilan coagulation | Coloscopie rapide |
| Saignement aigu abondant, instabilité | Tachycardie, hypotension, pâleur | Réanimation, NFS urgente, groupe sanguin | Hospitalisation urgente; angio-TDM; endoscopie en milieu spécialisé |
| Rectorragies + diarrhée fébrile ou post-ATB | Fièvre, signes infectieux | Coproculture, recherche C. difficile | Traitement adapté, gastro si sévère |
| Patient sous anticoagulant, antiagrégant | Posologie, INR récente, gravité | Bilan hémostase, évaluer nécessité de réversion | Coordination avec prescripteur + gastro; hospitaliser si grave |
Lisez notre article en rapport : Les urgences en proctologie
5. Références
- Haute Autorité de Santé (HAS). Cancer colorectal : modalités de dépistage et de prévention chez les sujets à risque élevé et très élevé. 20 juin 2017. Disponible sur: https://www.has-sante.fr/jcms/c_2772744/fr/cancer-colorectal-modalites-de-depistage-et-de-prevention-chez-les-sujets-a-risque-eleve-et-tres-eleve (consulté le 10 déc 2025).
- Société Nationale Française de Gastro-Entérologie (SNFGE). Hémorragies digestives — formation (chapitre). Octobre 2014 (PDF). Disponible sur: https://www.snfge.org/sites/default/files/SNFGE/Formation/chap-16_fondamentaux-pathologie-digestive_octobre-2014.pdf (consulté le 10 déc 2025).
- National Institute for Health and Care Excellence (NICE). Suspected cancer: recognition and referral (NG12). 23 juin 2015. Disponible sur: https://www.nice.org.uk/guidance/ng12 (consulté le 10 déc 2025).
- Sengupta N, Feuerstein JD, Jairath V, Shergill AK, Strate LL, Wong RJ, Wan D, et al. Management of Patients With Acute Lower Gastrointestinal Bleeding: An Updated ACG Guideline. Am J Gastroenterol. 2023 Feb;118(2):208–231. doi:10.14309/ajg.0000000000002130 (PubMed PMID: 36735555).
- Nikpour S, Asgari AA. Colonoscopic evaluation of minimal rectal bleeding in average-risk patients for colorectal cancer. World J Gastroenterol. 2008 Nov 14;14(42):6536–6540. doi:10.3748/wjg.14.6536. (PMCID: PMC2773342).
- Feldman M, Friedman LS, Brandt LJ, editors. Sleisenger & Fordtran’s Gastrointestinal and Liver Disease. 11th ed. Elsevier; 2020.
- Institut National du Cancer (INCa). Cancers en France — rapport/dossier (données 2017). Disponible sur: https://www.e-cancer.fr (consulté le 10 déc 2025).
- UpToDate. Approach to minimal bright red blood per rectum in adults. UpToDate (consulté le 26 août 2025).
©2025 - efurgences.net

